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traire il m’emmène dans les vallées et dans les bois ; il me raconte son enfance, les beaux rêves de son jeune âge, et il m’assure que tous ses rêves de bonheur sont dépassés, il me dit qu’il n’aurait jamais pensé rencontrer sur la terre une femme comme moi, et que pour être aimé de moi, un jour, une heure, il aurait volontiers donné sa vie, et qu’un tel sacrifice n’était pas trop grand pour payer un tel amour. En le voyant si joyeux, je n’ose lui parler de mes craintes ; près de lui bientôt je les oublie, il a tant de confiance dans l’avenir, qu’il m’en inspire malgré moi. Aussi, quand il est près de moi, je suis heureuse et rassurée… Mais s’il s’éloigne un moment, si je reste seule livrée à mes folles idées, mille fantômes terribles m’apparaissent et viennent me menacer. Je m’accuse d’avoir été imprudente et cruelle, je m’accuse, non pas comme vous le dites, d’avoir inspiré deux violentes passions, mais d’avoir exaspéré deux amours vindicatifs. Je sais bien que M. de Monbert ne m’aimait point, et cependant je crains son ressentiment injuste ; je me dis la plaisante trahison d’Edgard, et pourtant Edgard, dont l’image jusqu’à présent ne me semblait que ridicule, Edgard m’apparaît menaçant et furieux. Un vague souvenir me poursuit. Le jour même de mon mariage, après la bénédiction, comme nous quittions la chapelle, un indicible effroi m’a fait tressaillir : je ne pourrais l’affirmer, mais j’ai cru entendre dans le silence de cette vaste église une voix, une voix étouffée, terrible, qui disait mon nom… le nom que je portais à Pont-de-l’Arche : Louise !… J’ai retourné la tête vivement du côté d’où elle venait, et il fallait que cette voix fût bien puissante pour avoir l’autorité de troubler l’émotion d’un pareil moment !… Je regardai près de moi et je ne vis personne… Louise !… Il y a tant de femmes qui portent ce nom ! Peut-être était-ce un père qui appelait sa fille, ou un frère qui appelait sa sœur.

Cela n’avait rien de bien extraordinaire, mais ce cri m’a remplie d’effroi… Je me suis rappelé Edgard le soir