Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vait, l’ardeur de sa joie m’a fait comprendre ces assomptions de saintes qui, dans leur extase, quittaient le sol de leurs cellules ou de leurs cavernes ; elle éprouvait ce ravissement profond d’une femme qui se perd.

Quand elle arriva à la hauteur de la colonne qui m’abritait, un courant électrique l’avertit sans doute de ma présence, car elle tressaillit comme atteinte par une flèche invisible et retourna vivement la tête ; un rayon de soleil égaré illumina sa figure, et je reconnus dans Irène de Châteaudun Louise Guérin ; dans la riche héritière, l’enlumineuse de Pont-de-l’Arche !

Irène et Louise c’était la même personne !

Nous avons été traités en Cassandres de comédie ; nous avons joué sérieusement la scène d’Horace et d’Arnolphe. Nous nous racontions nos amours, nos espoirs et nos tristesses. C’est fort bouffon ; mais, contre l’usage, la tragédie suivra la farce, et nous saurons si bien nous y prendre, que nul ne sera tenté de rire de notre mésaventure : d’une chose ridicule nous ferons une chose terrible. Ah ! mademoiselle Irène de Châteaudun, vous vous imaginiez qu’on pouvait s’amuser ainsi de deux hommes comme le prince Roger de Monbert et comme Edgard de Meilhan, et qu’il n’en serait que cela, et qu’il suffirait de leur dire : « J’en aime mieux un autre ? » Et vous, maître Raymond, vous espériez que votre réputation vertueuse ferait passer votre perfidie pour un acte de dévouement ? Non, non ; dans le drame où la grande dame était une aventurière, l’ingénue une rouée, le héros un traître, l’amant un niais et le fiancé un Géronte, les rôles vont changer.

Un cri rauque s’échappa de mon gosier. Irène serra convulsivement le bras de Raymond et sortit de l’église à pas précipités. Raymond, sans rien comprendre à cet élan subit, y céda et descendit très-vite l’escalier. La voiture était avancée ; ils montèrent dedans tous deux ; le cocher fouetta les chevaux ; le tout disparut.

Irène, Louise, quel qu’ait été votre nom ou votre mas-