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avec Raymond. — Que signifie cela ? Irène votre fiancée, Raymond notre ami ! Quelle comédie à imbroglio se joue-t-il ici ? C’était donc là le motif de ces fuites, de ces disparitions. — On se moquait de vous. — Cela me paraît un peu bien audacieux. Comment se fait-il que Raymond, qui savait vos projets de mariage avec mademoiselle de Châteaudun, ait osé aller ainsi sur vos brisées ? — Cela sort des prouesses à la don Quichotte et du sauvetage des vieilles Anglaises.

Accourez vite, par le chemin de fer, par la poste, à franc étrier, à vol d’hippogriffe ; que dis-je ? à peine aurez-vous reçu ma lettre au moment où le mariage se célébrera. — Mais je veillerai pour vous, je m’acquitterai de votre vengeance, et mademoiselle Irène de Châteaudun ne deviendra pas madame Raymond de Villiers sans que je lui souffle à l’oreille une phrase qui la remplira d’épouvante et la rendra plus blanche que son voile nuptial. — Quant à Raymond, ce qu’il a fait ne m’étonne pas ; j’avais senti contre lui, à Richeport, de ces mouvements haineux qui ne me trompent jamais et qui me viennent toujours en face des caractères lâches et hypocrites ; il parlait trop de vertu pour n’être pas un misérable. — Je voudrais pouvoir rayer de ma vie le temps où je l’ai aimé. — Il n’est plus possible de s’opposer à ce mariage, dont l’idée me révolte. Comment donc Irène de Châteaudun, qui devait avoir l’honneur d’être votre femme, que vous m’avez dépeinte comme une personne pleine d’esprit et d’élévation, a-t-elle pu se laisser prendre, après vous avoir connu, aux jérémiades de ce pleurnicheur sentimental ? Depuis Ève, tout ce qui est noble, loyal et franc, répugne donc aux femmes ; déchoir est donc un besoin invincible pour elles ; et elles préféreront donc toujours, à la voix de l’homme d’honneur, le susurrement perfide de l’esprit du mal, qui avance son visage fardé entre les feuillages, et se roule en orbes squammeux autour de l’arbre fatal ?

Edgard de Meilhan.