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— Monsieur, tout cela est bien vague, me répondit-elle en souriant.

— Écoutez, lui dis-je ; c’est vrai, j’ignore qui vous êtes ; mais je sais, mais je sens que le mensonge n’a jamais profané ces lèvres, ni faussé le rayon de ces yeux. Voici ma main ; c’est celle d’un gentilhomme. Prenez-la sans pâlir et sans hésiter je n’en demande pas davantage.

— Monsieur de Villiers, c’est bien ; dit-elle en mettant avec dignité sa petite main dans la mienne. Et maintenant, ajouta-t-elle, voulez-vous connaître ma vie !

— Non, lui répondis-je ; vous me la direz quand vous me l’aurez donnée.

— Cependant…

— Je vous ai vue, lui dis-je, et dès lors vous n’avez eu rien à m’apprendre. Je sens bien un mystère dans votre existence ; mais je sens aussi que ce mystère est beau, et que vous ne pouvez cacher que des trésors.

À ces mots, je vis errer sur sa bouche un sourire indéfinissable.

— Du moins, s’écria-t-elle, vous savez bien que je suis pauvre ?

— Oui, lui répliquai-je, mais vous avez montré que vous étiez digne de la fortune, et, de mon côté, je crois avoir prouvé que je n’étais pas tout à fait indigne de la pauvreté.

La journée se poursuivit ainsi et s’acheva en tendres entretiens. J’examinai dans tous ses détails cette chambre que ma pensée avait visitée tant de fois. Je me retins pour ne pas appliquer mes lèvres sur la petite lampe qui me valait plus de félicités que n’aurait pu m’en procurer la lampe d’Aladin. Je parlai bien de vous, madame ; je mêlai votre image à notre bonheur pour le compléter. Je dis à Louise combien vous l’aimeriez, qu’elle vous aimerait aussi ; elle me répondit qu’elle vous aimait déjà. Nous ne nous séparâmes que le soir, et nos lampes joyeuses brûlèrent toute la nuit.

Au milieu de mes enivrements, je n’oublie pas, ma-