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un proscrit, autour des lieux où le bonheur m’était apparu.

J’errais ainsi depuis près d’une heure, quand j’aperçus le facteur rural qui venait de prendre à la poste les lettres qu’il portait dans les châteaux voisins. Plus pâle et plus tremblant que le feuillage argenté des saules du rivage, je l’interrogeai et j’appris que madame Guérin était encore à Richeport. Je m’éloignai la mort dans l’âme ; j’arrivai le soir à Paris.

Résolu à n’y voir personne, à n’y passer que quelques jours dans le silence et dans la retraite, je ne cherchai pas d’autre asile que la petite chambre que j’avais occupée en des temps moins fortunés et pourtant plus heureux. Je voulus reprendre mon même train de vie qu’autrefois ; mais je n’avais goût à rien. Tant qu’on marche à la poursuite du bonheur, la route est riante et belle, l’espoir égaie les horizons ; quand on a pu le saisir, et qu’on l’a laissé s’échapper, tout est morne et désenchanté ; car il est de ces voyageurs qu’on ne rencontre pas deux fois dans son chemin. J’essayai de l’étude, qui ne fit qu’irriter mes ennuis. À quoi bon connaître et savoir ? Le livre de la vie était fermé pour moi. J’essayai des poètes, qui, en la traduisant dans leur langage passionné, ne firent qu’exulter ma souffrance. Ainsi, chose étrange où la raison se perd, une blanche et blonde créature avait glissé dans mon existence comme un fil de la Vierge sur un ciel serein, et il avait suffi de cette gracieuse apparition pour en troubler à jamais le repos ! À peine entrevu, l’ange de mes rêves s’était envolé, et je devais garder éternellement sur mon front l’ombre de ses ailes ! Ce n’était qu’une enfant, et cette enfant avait traversé ma destinée comme un orage ! Elle s’était posée dans ma vie comme un oiseau sur une branche, et ma vie en demeurait brisée ! Ma raison s’y perdait, en effet. Jeune, libre et riche, je ne savais à quel parti me rendre. Que faire ? que devenir ? De toutes parts, je ne voyais autour de moi que l’abandon et la solitude. Le jour, je me mêlais à la foule, et vaguais, par les rues, comme une âme en peine. Je rentrais le soir, rompu,