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d’autres ; — mon désespoir n’est pour elle qu’une importunité, je ne lui suis nécessaire en rien ; mon absence ne fait aucun vide dans son âme, ma mort ne lui arracherait qu’une phrase de pitié insouciante ; tout ce qu’on trouvait de beau, de bon et de noble en moi, n’a pas produit la moindre impression sur elle ; mes vers, qui ont fait rêver tant de jeunes cœurs, — elle ne les a pas lus, — mes qualités m’ont nui comme des défauts ; pourquoi chercher un monde pour placer l’enfer ; n’est-il pas là ?

Et cependant quelle tendresse infinie, quels soins de tous les instants, quelle obsession caressante et timide, quelle obéissance à tous les désirs devinés, quelle prompte réalisation de la fantaisie même la plus vague pour un regard qui ne s’adressait pas à vous, pour un sourire que faisait éclore la pensée d’un autre ! Que voulez-vous ! on a toujours tort de n’être pas le plus aimé.

Je fuis, emportant le fer dans ma blessure ; je ne veux pas l’en arracher, j’aime mieux en mourir. — Puissiez-vous vivre heureuse, puisse l’atroce souffrance que vous me causez ne jamais être expiée. Je le souhaite ; le monde ne punit que les meurtres du corps, le ciel punit les meurtres de l’âme. Que votre assassinat invisible échappe le plus longtemps possible à la vengeance divine. Adieu, Louise, adieu.

Edgard de Meilhan.


XXVIII


À MADAME
MADAME LA VICOMTESSE DE BRAIMES
HÔTEL DE LA PRÉFECTURE,
À GRENOBLE (ISÈRE).


Paris, 27 juillet 18…

Valentine, je suis bien inquiète ; comment se fait-il que je n’aie pas reçu un mot de vous depuis un mois ? Avez-vous quelque chagrin ? un de vos chers enfants est-il malade ? n’êtes-vous plus à Grenoble ? avez-vous accompli sans moi vos projets de voyage ? Voilà ce que j’espère :