Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord vous porter mon âme à soigner ; mais ma douleur m’est chère et je ne veux pas en guérir.

Je presse la main de M. de Braimes, et je rassemble dans une seule et même étreinte vos aimables enfants sur mon cœur.

Raymond de Villiers.


XXVI


À MONSIEUR
MONSIEUR LE PRINCE DE MONBERT
POSTE RESTANTE, À ROUEN.


Richeport, 23 juillet 18…

Je suis ivre de rage, fou de douleur ! — Cette Louise ! je ne sais qui me retient de mettre le feu à la maison où elle se cache ! Il faut que je m’en aille : je ferais quelque extravagance, quelque crime ! Je lui ai écrit lettres sur lettres, je me suis présenté vingt fois chez elle ; rien, toujours rien ! C’est à se casser la tête contre les murs ! — Coquette et prude ! — horrible assemblage, monstruosité trop commune, hélas !

Elle ne veut plus me voir ! c’est fini ! rien ne peut vaincre cet entêtement stupide qu’elle prend pour de la vertu. Si j’avais pu lui parler une seule fois, je lui aurais dit… je ne sais quoi, des mots que j’aurais trouvés, et qui l’auraient fait revenir à moi. — Mais elle se retranche dans son obstination : elle sait que je la vaincrais, qu’elle ne pourrait pas me donner de bonnes raisons ; car je l’aime éperdument, jusqu’au délire, jusqu’à la frénésie ! — La passion est éloquente. Elle me fuit ; ô perfidie et lâcheté ! ne pas oser regarder en face le malheur qu’on cause ! frapper en se cachant les yeux !

Je vais en Amérique, je tuerai ma douleur morale par la fatigue physique, je materai l’âme par le corps. Je veux remonter le cours des fleuves géants qui entraînent des archipels d’îles, pénétrer sous les voûtes inextricables des forêts où nul trappeur n’est arrivé encore, je veux me jeter avec les tribus sauvages au milieu des hordes de bisons,