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prélude des mélodies que j’écoute chanter depuis hier dans mon sein. S’il me plaît de reconnaître votre douce influence dans les secrètes délices qui m’inondent depuis quelques heures, ne m’ôtez pas cette illusion. Je crois, comme ma mère, aux influences mystérieuses. Je crois que, s’il est des êtres maudits qui, sans le savoir, traînent le malheur après eux et le sèment sur leur passage, il en est d’autres, au contraire, marqués au front du doigt de Dieu, qui, sans s’en douter, portent bonheur à tout ce qu’ils rencontrent. Heureux le voyageur qui a pu voir, comme moi, un de ces êtres privilégiés passer dans son chemin ! Leur seule présence attire les bénédictions du ciel, la terre fleurit sous leurs pas.

Et d’abord, madame, il est très-vrai que vous savez l’art de conjurer les funestes enchantements. Comme l’étoile du matin qui dissipe les nocturnes attroupements des lutins, des djinns et des gnomes, vous avez lui sur mon horizon, et lady Penock s’est évanouie ainsi qu’une ombre. Grâce à vous, j’ai pu traverser impunément la France, voyager des bords de l’Isère aux bords de la Creuse, et de là gagner les rives de la Seine, sans rencontrer l’implacable insulaire qui m’a poursuivi depuis les champs du Latium jusqu’au pied de la Grande-Chartreuse. Je ne dois pas omettre qu’à Voreppe, où je me suis arrêté pour changer de chevaux, le maître de l’auberge brûlée, et qui n’est plus qu’un monceau de ruines, ayant reconnu ma voiture, est venu me réclamer poliment le prix des dégâts causés par moi dans sa maison, tant pour une vitre brisée, tant pour une porte enfoncée, tant pour une échelle en morceaux. Je recommande à M. de Braimes ce trait d’esprit d’un de ses administrés : c’est un détail oublié par Cervantes dans l’histoire de son héros.

Malgré ma qualité de chevalier errant, je suis arrivé sans plus d’aventures dans mes chères montagnes que je n’avais pas visitées depuis plus de trois ans, et dont la vue m’a réjoui le cœur. Ce pays vous plairait ; il est pauvre, mais poé-