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ennuyeuse, ma grosse cousine. On ne me parlait que de ses ridicules ; on me disait que j’avais le plus grand tort d’aller demeurer chez elle, de la prendre pour chaperon, qu’elle me persécuterait, que nous passerions notre vie en querelle ; rien de tout cela n’était fondé : nous sommes toutes deux en très-bonne intelligence, et si je ne suis pas mariée l’hiver prochain, l’hôtel de Langeac sera encore mon asile. Roger n’est point prévenu de mon départ ; il va être furieux : c’est ce qu’il faut ; je compte sur sa colère pour m’éclairer. Je veux tenter cette épreuve. Comme toutes les personnes sans expérience, j’ai un système ; le voici :

En amour, il n’y a de sincère que le découragement ; on ne peut connaître le caractère d’un homme qui aime avec espérance. Suivez bien ce raisonnement ; il est laborieux.

Tout amour violent est une hypocrisie involontaire.

Plus l’amour est sincère et plus le caractère est trompeur.

Plus on aime et plus on ment.

La raison en est bien simple. Le premier symptôme d’une passion profonde, c’est un ardent besoin de sacrifices. Le plus charmant rêve d’un cœur réellement épris, c’est de faire pour l’être adoré le sacrifice le plus extraordinaire et le plus pénible… Or ce qu’il y a de plus pénible pour un caractère, c’est de se dompter ; pour une nature, c’est de se changer. Aussi, dès qu’on aime on se métamorphose ; si l’on est avare, pour plaire on deviendra splendidement généreux ; si l’on est poltron, on se fera témérairement brave ; si l’on est un don Juan corrompu, on se fera un Grandisson vertueux ; et l’on sera de bonne foi dans cet effort, et l’on se croira naïvement corrigé, converti, purifié, régénéré. Cette heureuse transformation durera tout le temps de l’espérance…

Mais sitôt que le prétendant métamorphosé aura pres-