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la laideur que dans leurs villes ; mais dans ses champs à lui il sait promptement anéantir leurs mesquines œuvres. En vain, sous prétexte de fontaine, ils entassent dans les vallées et dans les bois maçonnerie sur maçonnerie, rocailles sur rocailles ; en vain ils élèvent à force d’argent leurs biscuits manqués, leurs nougats en ruines, toute leur pâtisserie bocagère autour des sources limpides ; la nymphe les regarde faire en souriant, et bientôt, dans ses jeux capricieux, elle s’amuse à changer leurs affreuses fabriques en édifices charmants, leurs boudoirs de fermiers généraux en nids de poètes, et il ne lui faut que trois choses bien simples pour opérer ce facile miracle, trois choses qui ne lui coûtent rien et qu’elle se plaît à prodiguer sous ses pas : des cailloux, de l’herbe et des fleurs… Valentine, je vois bien que je décris un peu trop longuement ce petit lac ; mais j’ai une excuse : je l’aime tant ! Vous saurez bientôt pourquoi.

J’entendis gazouiller la source et je ne pus résister à la séduisante fraîcheur de cette voix ; je m’appuyai sur le rocher de la fontaine, j’ôtai mon gant, je reçus dans le creux de ma main l’eau qui tombait en cascade, et je savourai cette onde pure avec délices. Comme je m’enivrais de cet innocent breuvage, quelqu’un parut dans l’allée ; je continuai à boire sans me troubler ; mais bientôt ces mots qui m’étaient adressés me firent lever la tête : — Pardon, mademoiselle, ne pourriez-vous pas me dire si madame de Meilhan est de ce côté ? — On m’appelait mademoiselle, j’étais donc reconnue ? Cette idée me fit pâlir ; je regardai avec effroi la personne qui m’avait nommée ainsi ; c’était un jeune homme que je n’avais jamais vu, mais qui pouvait m’avoir vue quelque part et me dénoncer. Je perdis tout à fait contenance ; je voulus reprendre mon chapeau que j’avais ôté, mon bouquet que j’avais posé sur la fontaine ; mais dans ma précipitation je laissai tomber dans l’eau la moitié de mes fleurs. Le courant de la source les emporta bien vite, et je les voyais déjà loin