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On attendait hier ici quelques hôtes nouveaux : une parente de madame de Meilhan, et un ami d’Edgard, qu’il appelle en riant don Quichotte. Ce surnom m’avait frappée, mais l’idée ne m’était pas venue de questionner Edgard, pour savoir quelle en était l’origine. Comme toutes les personnes qui ont un peu d’imagination, je ne suis pas curieuse, je trouve tout de suite une raison qui répond à tout : j’aime mieux chercher le pourquoi des choses que de le demander, j’aime mieux les suppositions que les informations. Je n’avais donc pas demandé pourquoi cet ami était honoré du plaisant sobriquet de don Quichotte ; je m’étais expliqué cela très-bien à moi-même ; je m’étais dit : C’est quelque grand jeune homme trop fluet qui ressemble assez au chevalier de la Manche, et qui se sera déguisé ou plutôt costumé en don Quichotte un soir de carnaval ; il aura gardé le nom de son déguisement ; et là-dessus je m’étais représenté un grand niais assez ridicule, portant sur un corps long et dégingandé une figure maigre et jaune, une espèce de pantin triste, et j’avoue que je mettais peu d’empressement à connaître ce personnage. Une seule chose m’inquiétait à propos de lui, et j’avais bien vite été rassurée. Je crains toujours d’être reconnue par les nouveaux arrivants au château, et je demande adroitement si ce sont des gens très-élégants, s’ils vont beaucoup dans le monde à Paris, etc., etc. Don Quichotte, m’avait-on répondu, est assez sauvage ; il voyage presque toujours pour soutenir sa position de chevalier errant ; il a passé l’hiver dernier à Rome. Ce mot me suffisait. Je n’ai fait mon apparition dans le monde que l’hiver dernier ; don Quichotte ne m’avait donc jamais vue ; je pouvais l’attendre sans crainte ; je ne pensai plus à lui. Hier, à trois heures, madame de Meilhan et son fils montèrent en calèche pour aller chercher leurs nouveaux hôtes à la station du chemin de fer. J’étais sur le perron quand ils partirent. « Ma chère madame Guérin, me cria madame de Meilhan, je vous recommande bien mes bou-