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hors de l’église, et nous voilà tous occupés à la secourir. Le grand air la ranime ; elle revient à elle. En me voyant à ses côtés, elle se trouble encore. Cependant, ce que je lui dis, l’intérêt que je lui témoigne semblent la rassurer ; elle me remercie gracieusement, et puis elle recommence à me regarder de la manière la plus embarrassante ; je lui offre de venir se reposer chez madame Taverneau ; elle accepte cette offre, et madame Taverneau la conduit chez elle avec pompe. Là, madame de Meilhan explique comment elle est venue de Richeport, seule, à pied, malgré la chaleur excessive, au risque de se rendre malade, parce que son fils est parti le matin même brusquement, sans la prévenir, emmenant avec lui son cocher et ses chevaux. En racontant cela, elle me regardait encore, elle me regardait toujours ; et moi, je supportais ces regards interrogateurs avec un calme superbe. Il faut vous dire que la veille M. de Meilhan était venu me voir ; madame Taverneau et son mari étaient absents. Le danger de la situation m’avait inspirée ; j’avais su trouver ce jour-là des accents d’une froideur si cruellement glaciale ; j’étais parvenue à une hauteur de dignité si désespérément escarpée, que le grand poète avait enfin compris qu’il y a des glaciers inaccessibles. Il m’avait quittée furieux et désolé ; mais, je lui rends justice, plus désolé que furieux. Ce chagrin réel me donna à penser : Si, par hasard, il m’aimait sérieusement, me disais-je, ma conduite envers lui serait coupable ; j’ai été très-coquette pour lui ; il ne peut pas deviner que cette coquetterie n’était qu’une ruse, et qu’en ayant l’air de m’occuper de lui si gracieusement, je m’occupais uniquement d’un autre. Tout amour sincère est respectable ; on n’est pas forcé de le partager, mais on se doit de le ménager.

L’inquiétude de madame de Meilhan, la démarche qu’elle faisait auprès de moi, — car il m’était prouvé qu’elle était venue à la messe trop tard exprès, qu’elle s’était placée à côté de moi avec intention, bien décidée à trouver