Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/161

Cette page a été validée par deux contributeurs.

appeler madame Taverneau que j’apercevais au pied de la colline. La pierre sur laquelle j’étais s’est détachée… Sans M. de Meilhan, qui m’a retenue, je dois le dire, avec beaucoup d’adresse, j’étais morte… Je tombais dans un précipice de quatre-vingts pieds. Ah ! quelle peur j’ai eue ! J’en tremble encore ; je n’ai jamais éprouvé une frayeur pareille ; je crois que je me serais évanouie si j’avais eu plus de confiance ; mais une autre peur m’a réveillée de celle-là. Heureusement je vais partir, et cette plaisanterie finira.

Oui, certainement, je veux aller à Genève avec vous. Pourquoi n’irions-nous pas un peu jusqu’au lac de Côme ? Quelle belle course à faire, et nous serions si bien dans ma bonne voiture ! Vous saurez que j’ai une voiture de voyage qui est une merveille ; on la remet tout à neuf dans ce moment, et dès qu’elle sera prête, nous monterons dedans pour aller vous embrasser. Mais, me direz-vous, comment avez-vous une voiture de voyage, vous qui n’avez fait qu’un voyage en votre vie, du Marais au faubourg Saint-Honoré ? Je vous répondrai : J’ai acheté cette voiture par occasion ; c’est un chef-d’œuvre ; on n’a jamais rien fait de mieux à Londres. Elle a été inventée, — vous verrez quelle invention, — pour une Anglaise très-riche qui voyage toujours, et qui est désolée de la vendre ; mais elle se croit poursuivie par un jeune audacieux, et, pour lui faire perdre sa trace, elle veut vendre la voiture dans laquelle il l’a vue passer tant de fois. C’est une vieille folle qu’on appelle lady Penock ; elle ressemble à Levassor dans ses rôles d’Anglaises, mais en caricature : Levassor n’oserait pas être si ridicule.

À bientôt. Quand je pense que dans un mois nous serons ensemble, j’oublie tous mes chagrins.

Irène de Châteaudun.