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contre leur parti, contre nous tous ? Ils sont en guerre avec le pays, qui se défie de leurs intentions, qui déteste leurs avantages… et ils s’amusent à irriter encore le pays par leur hostilité inintelligente et leur oisiveté tapageuse ! À les voir luttant de niaiseries et de déconsidération, on dirait qu’ils n’ont qu’une pensée, c’est de justifier toutes les accusations de leurs ennemis, et de renchérir même encore sur cette estimation injustement modérée. On les accuse d’être ignorants… ils sont ignares ! On les accuse d’être insolents… ils sont impudents ! On les accuse d’être bêtes, tous, naturellement, fatalement… ça ne leur suffit pas… ils aspirent à être brutes, et ils y parviennent !… Et cependant, puisqu’il est convenu qu’ils sont dégénérés, on ne serait pas exigeant pour eux ; on ne leur demande pas ce qu’on demande aux autres, on ne leur demande ni héroïsme, ni talent, ni génie ; on ne leur demande que de la dignité, et ils ne savent même pas faire semblant d’en avoir… On ne leur demande pas de porter leur nom, leur nom illustre. On ne leur demande que de le respecter… et ils le traînent dans la boue ! Ah ! ces gens-là me feront mourir d’indignation et de douleur !

Et c’est parmi ces jeunes fats, dans cette pépinière de fainéants, que je dois chercher un mari, qu’Irène de Châteaudun doit choisir une alliance !… Non, non, je ne donnerai point les quelques millions que la Providence m’a jetés, pour être distribués comme encouragement à toutes les misérables courtisanes de Paris, pour être partagés entre toutes les sauteuses de théâtres. S’il faut absolument donner ma fortune à des femmes, je la porterai dans un couvent où j’irai m’enfermer pour le reste de mes jours ; mais, certes, j’aimerais mieux devenir la femme de quelque pauvre étudiant bien obscur, mais noblement honteux de son obscurité, dévoré du désir de la gloire, jaloux de rendre illustre son nom bourgeois, et cherchant nuit et jour dans la poussière des livres le secret des grandes renommées… que d’épouser jamais un