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lointain ; ma première entrevue un peu significative avec Louise aura pour rappel dans ma mémoire un rayon de lune, une odeur d’iris et la note de cristal que la rainette pousse dans l’herbe les soirs d’été.

Vous allez, cher Roger, me trouver un don Juan piteux, un Amilcar médiocre, et me dire que j’ai bien peu profité de l’occasion. Un jeune homme se promenant la nuit dans un jardin avec une enlumineuse doit au moins lui prendre la taille et lui dérober un baiser. Dussé-je vous paraître ridicule, je n’en ai rien fait. J’aime Louise, et d’ailleurs elle a, par instants, de tels airs de hauteur, un si majestueux dédain, que le commis-voyageur le plus nourri de Pigault-Lebrun, que le sous-lieutenant le plus abreuvé d’absinthe, n’oseraient s’y hasarder. Elle ferait presque croire à la vertu, si une pareille idée était vraisemblable. Franchement, j’ai peur d’être pris tout de bon. Commandez-moi une veste tourterelle, une culotte vert-pomme, une pannetière, une houlette, et tout l’accoutrement d’un berger du Lignon. Je vais faire savonner un agneau pour compléter la bergerie.

Je suis revenu au château en marchant ou en volant, je n’en sais rien, heureux comme un roi, fier comme un dieu, car un nouvel amour était né dans mon cœur.

Edgard de Meilhan.


IX


À MADAME
MADAME LA VICOMTESSE DE BRAIMES
HÔTEL DE LA PRÉFECTURE,
À GRENOBLE (ISÈRE).


Paris, 2 juin 18…

Il est cinq heures, j’arrive de Pont-de-l’Arche, et je repars pour… l’Odéon, qui est à une lieue d’ici, car l’Odéon