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intempestive… les gros bonnets de l’endroit n’y viendraient pas… Bon ! toute la petite famille a la rougeole !… Allez vous faites bien d’avoir ces quatre beaux enfants ! Sans eux, malgré toute votre sagesse, vous seriez vaincue ; il faut tant d’habileté à une Parisienne pour vivre officiellement en province ! Là, toutes les femmes ont de l’esprit ; la moindre bourgeoise de petite ville en remontrerait à un vieux diplomate ! Quelle science du cœur humain de la localité ! quelle profonde combinaison dans les plans de vengeance ! quelle pruderie dans la malice ! quelle patience dans la cruauté ! C’est effrayant ! J’irai vous voir quand vous serez établie à la campagne ; mais tant que vous trônerez dans votre préfecture, j’aurai pour vous cette respectueuse horreur qu’un esprit indépendant doit avoir pour toutes les autorités.

Qu’est-ce que c’est qu’un pauvre convalescent, dont la blessure vous a donné de graves inquiétudes. Vous ne me dites pas son nom ; je vous reconnais bien là, madame ! Même avec une ancienne amie, faire de la discrétion administrative ! Ô petitesse ! Est-il jeune, ce blessé ? — Oui, sans doute, vous ne me dites pas qu’il est vieux. Il va vous quitter pour retourner chez lui. — Chez lui est vague, puisque vous ne me dites pas qui il est, lui ! Moi, dans mes récits, je nomme tout le monde, je fais des portraits frappants de ressemblance de tous les gens que je rencontre, et vous ne me répondez que par des énigmes. Je sais bien que votre destinée est accomplie, et que la mienne a encore tout l’attrait d’un roman nouveau ; mais c’est égal, il faut au moins que vous me disiez quelque chose, si vous voulez que je continue à vous dire tout.

J’embrasse vos chers petits enfants que je m’obstine à regarder comme vos meilleurs conseillers de préfecture, et je recommande à ma filleule Irène de vous embrasser en pensant à moi.

Irène de Châteaudun.