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un bruit qu’on a fait courir… » M. de Meilhan répondit cela d’un ton sec qui força son affreux ami à choisir un autre sujet de conversation. Mais combien j’étais curieuse de savoir ce que Roger avait écrit à M. de Meilhan ! Roger avait un confident ! Il lui parlait de moi ; comment en parlait-il ? Oh ! cette lettre, cette maudite lettre ! À dater de ce moment, je n’ai plus agi que pour elle ; malgré moi, je regardais M. de Meilhan avec un trouble qui devait l’étonner ; il a dû penser de moi des choses bien étranges. Je n’ai pu cacher ma joie quand il a dit qu’il descendait à Pont-de-l’Arche, quand j’ai compris qu’il demeurait tout près d’ici, à Richeport. Cette joie a dû lui paraître aussi bien suspecte. Un orage épouvantable nous a retenus deux heures aux environs du débarcadère. Nous sommes restés ensemble sous un hangar à voir tomber la pluie. Ma situation était fort embarrassante. Je voulais être aimable et gracieuse pour M. de Meilhan, afin de lui donner l’idée de venir me voir chez madame Taverneau, à Pont-de-l’Arche. Mais, d’un autre côté, je ne voulais pas, par cette bonne grâce et par cette amabilité, lui inspirer trop de confiance. Le problème était difficile à résoudre. Il fallait hardiment risquer de lui donner une très-mauvaise opinion de moi, et cependant le maintenir toujours dans le plus religieux respect. Eh bien j’ai résolu ce problème. Je n’ai fait d’autre sacrifice à ma légitime curiosité que celui d’un sac de bonbons que je portais à madame Taverneau, et que j’ai partagé avec mon compagnon d’infortune. Mais par combien de soins il avait su mériter ce grand sacrifice ! que d’ingénieux parapluies improvisés pour moi sous ce hangar inhospitalier qui ne nous prêtait qu’un abri perfide et capricieux ! quels charmants tabourets composés soudain avec des éléments ingrats, de simples morceaux de bois vert, de naïves bûches adroitement assujetties dans le sol humide ! L’orage passé, M. de Meilhan