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— Je n’ai pas eu peur. J’ai couru parce que tu courais.

— C’est toi qui m’a poussée.

— Tu as crié comme si on te tuait.

— Et toi tu t’encourais en te fichant de moi.

— Je te montrais le chemin.

Céline s’assied, pour décoller la boue de ses chevilles.

— J’en ferai encore, des promenades avec toi ! Auguste et les autres le disaient bien, que tu étais un veau.

L’orchestre du pier pleure une plainte amoureuse. Un croissant de lune, tout blanc, pâlit le ciel.

— Toi, quand ce n’est pas pour bouffer, rien ne va. Tu ne comprends pas la poésie.

Céline ravale une salive vengeresse. Sa poitrine tremble. Elle dit à mi-voix :

— C’est vrai, mon cher, la poésie c’est bon pour le civil : moi, je suis pour les militaires ! Tu as vu comme ce garçon est beau ? Il a un costume tout neuf.

Elle soupire.

— Voilà un type que j’aurais pu aimer.

Victor ricane.

— Tu n’es pas dégoûtée. Il pourrit déjà.

La lune silencieuse étend à ras de l’eau une