Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

troublée seulement par cette présence de beau garçon robuste et soigné. Et il connut de suite sa vie : fille de gros restaurateurs retirés, mariée de bonne heure à un bon zig un peu noceur, grand buveur de gueuze, grand pêcheur de carpes, et qui était parti en 14, avec ceux de la garde civique, pour attraper un chaud-froid et mourir de pleurésie. Elle était restée veuve, à se tourner les pouces, en face de sa bonne, une Flamande toujours en sueur qui « reloquetait » et frottait tout le long du jour. Elle ne se plaignait pas : malgré la guerre, les rues étaient encore animées, il y avait le cinéma pour les heures de pluie, et tous les jours le chocolat dans une pâtisserie ; c’est une vraie distraction, et c’est bon pour la santé ; on y voyait des Boches, de beaux hommes vraiment, et puis du vrai monde, qui a encore un chapeau et des fourrures à mettre. Le soir, quand on aime son lit, on est content de faire dodo de bonne heure. Tout aurait marché si on n’avait pas fermé les pâtisseries. Plus une brioche à trouver, même pour de l’or, pas un éclair ni un baba. On devait trimbaler des tartines avec soi, ou s’encrasser l’estomac de meringues, de vraies saletés qui vous donnent mal au cœur. Alors, elle avait préféré s’en aller — elle ne devait rien à personne, n’est-ce-pas — et attendre en Hollande