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avec mon filet pour bricoler ce qu’on trouve encore, sur ma route. Il faisait un drôle de temps avec des draches qui vous mouillaient les jambes à rebondir tout autour, et puis du soleil qu’on cuisait dedans. L’atelier d’Adèle c’est une grande maison, tout en haut de la ville, une chic clientèle qu’ils ont. Je traversais la Place Royale, bien à mon aise, puisqu’il n’y a plus d’autos, qu’on les a données au Roi, et qu’on dirait maintenant notre rue avec les ketjes jouant aux billes au milieu. Je regardais que c’était quand même beau avec cette statue sur son cheval, toute noire dans le soleil, et les maisons qui ont l’air de rire autour, quand, Mademoiselle, je vois Adèle dans ses jupons courts, qui attend sur le trottoir dans un des coins qui renfoncent. Oui, que je pense, voilà Adèle. Et je m’arrête. Elle attend, que je pense. On va bien voir qui, je pense. J’étais en colère, mais contente, comme quand on a cru quelque chose et qu’on est fière de savoir que c’est quand même vrai. C’était comme si j’avais gagné une course. Attends un peu, je me disais, attends un peu ! Et je laissais monter ma colère que c’est une des meilleures sensations qui soient, comme de boire du vin après qu’on en a déjà trop, et qu’on le sait et qu’on le fait pourtant. Adèle marchait avec de petits pas comme si elle dansait, à cause de ses hauts talons, et puis elle