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là-bas qui ont une mère aussi. Ils m’ont tué mon petit, que je le dise à Mademoiselle. Des voisins m’ont même dit qu’ils l’avaient fait souffrir, avant. Il était aux carabiniers cyclistes. Je l’ai vu au commencement, avant qu’ils entrent chez nous, blessé, dans une ambulance, avec des dames en blanc. On m’a envoyé chercher. Gâté qu’il était ! Y en avait une qui le soignait, on aurait dit sa mère, mais une mère pas comme les vraies, une mère triste, avec des doigts maigres et des yeux qui avaient l’air de prier. On n’aurait pas su être jalouse. Eh bien, mon petit, il trouvait ça tout simple : « mon verre ! » qu’il demandait, ou : « quand qu’on va lire la feuille ? » On aurait dit des camarades. Les dames riaient, elles disaient que c’était vrai, qu’elles étaient aussi des soldats belges. Et elles avaient comme un tremblement dans les yeux, quand elles disaient ça. On aime aussi son pays, nous autres, on ne voudrait pas qu’ils viennent nous prendre nos choses, mais ça n’est pas la même affaire, on ne saurait pas dire.

Eh bien, mon petit était là dans son lit avec son éraflure de shrapnel à l’épaule, comme un prince pour rire, à blaguer les boches, à dire qu’on les aurait, et qu’il ne les raterait pas. Un soleil qu’il y avait alors ! Je ne peux plus voir du soleil maintenant, sans avoir mal au cœur. C’était le commen-