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assombri, s’indique libre et affranchie, par un rire bref :

— Il est très occupé : il s’amuse.

Elle se dessine et s’ombre, banale figure de salons, professionnelle des flirts, si loin de la pure image en cornette…

— Je sais. Je vous vois. Je vous connais.

Il parle, d’un aboiement pressé, la gorge sèche. Il écoute à peine. Il la regarde rire, d’un rire irritant et appris. L’autre la regarde rire ainsi. La main de Nine est toujours là, à la même place où l’autre l’a saisie. Il craint de la saisir… Peut-être, pourtant, elle se dresserait, offensée, la lèvre troussée de colère… peut-être, alors, le rêve s’effacerait, et la présence de l’autre, et ce baiser de lente promesse… peut-être que les fantômes ont menti, que Nine est belle et sage, l’image du vitrail…

Et il regarde toujours cette main jouant dans les dentelles. Et il allonge la sienne. Et il l’étend sur cette main. Et il la saisit brusquement.

Nine n’a pas bougé. Elle a son battement blond de cils.

Alors, il se penche, et il la baise aux lèvres, cruellement, d’un élan forcené de haine. Il pense férocement :

— Comme les autres ! Comme les autres !