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garni le pavement mosaïqué repose la fine poussière des villes ; des bruits confus roulent dans l’air immobile. Francis Watts s’est assis. Dans le vêtement de molleton gris, le cou sorti de la chemise molle, il a quitté l’anonymat du malade, il est redevenu homme. Il a de longues mains d’étude, une grâce sévère du corps voûté, très maigre, une figure mince ; il a repris son rang, la finesse un peu sèche de l’intellectuel. Nine le regarde à la dérobée, curieuse, les deux mains dans les poches de son tablier empesé. Elle lui a déplié, empressée et officieuse, la liasse des journaux du jour. Il lit d’un air soucieux les manchettes brillantes et menteuses, parcourt le texte officiel.

— C’est excellent, dit Nine, debout derrière lui. Puis, bravache : une poignée d’hommes suffit à les arrêter !

Ils se penchent en silence sur la même feuille que frappe le soleil. Nine, enfiévrée, suit d’un ongle rose, ligne par ligne, le petit texte enivrant. Elle se penche bien fort, et l’épaule de molleton gris reçoit presque entière la charge de son corps frêle, parfumé d’héliotrope. Il ne bouge pas. Il reste dans une immobilité convulsée d’hypnose.

— Mais vous ne lisez pas ! crie Nine.

Il dit la voix altérée :

— Je ne vois plus.