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l’homme, immobile, les sens éveillés, sentait lentement s’humaniser sa vision, la sainte descendre du vitrail, devenir près de lui une femme très belle…


LA TISANE


Nine est partie réclamer la tisane. En route, elle croise d’autres infirmières, s’arrête pour de courts conciliabules, puis repart, diligente : telles les fourmis actives prennent contact du bout de l’antenne, et s’encourent à mille petits pas affairés. Francis Watts s’est accoudé à l’oreiller, le cou tendu, la regardant partir. C’est la fin du jour : entre les murs blancs, tous les blancs divers deviennent mauves, d’une douceur d’estampe. Il la suit des yeux, inquiet déjà du moment où il ne la verra plus, où le seuil obscur de la porte l’aura engloutie. Puis, quand sa robe claire a disparu, il retombe dans ses draps, et ferme les yeux. Autour de lui, dans le bruit sec de dominos remués, une grosse voix flamande ânonne les télégrammes officiels : « Mardi soir. La situation. » Pour la première fois il ne se dresse pas, le sang ne monte pas à ses joues maigres, il entend sans écouter, immobile. Puis, brusquement, ses paupières se relèvent d’une secousse, il tourne la