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encore nous asseoir au piano et regarder le soir venir. Tout ce que vous aimiez. Nous pourrons même nous taire ensemble… et peut-être nous sourire… Seulement, vous êtes si affreusement, si humainement jolie… et vous êtes si près, maintenant… il n’y a plus que moi entre nous deux…

Madeleine. — Il n’y a plus rien entre nous deux ! Je suis venue pour vous le dire, et je veux que vous me compreniez, que cet horrible chaos de pensées et de mots se dissipe. Écoutez-moi, François. Quand Pierre vivait, je lui devais ce qu’il attendait de moi : la fidélité au sens banal et strict qu’il lui donnait. Cela seul existait pour lui ; cela seul lui fut donné. Il a mené tapage, amour et boisson du même élan grossier et satisfait. Il prenait cela pour la vie. Il riait de l’âme. Il la niait. Mon âme était donc à moi. Je l’ai gardée. Et quand vous êtes venu dans ma vie, j’ai compris qu’il y avait un monde nouveau que vous pouviez me montrer, un monde où vivent et respirent les âmes. J’en ai eu tout de suite la nostalgie. En écoutant ce cours d’histoire de l’art où vous mettiez tout votre être, il m’a semblé tout-à-coup que vous vous penchiez sur moi, et que vous m’y meniez par la main. Et vous l’avez gardée. Vous m’avez tout montré : la musique, les tableaux, la pensée, les livres ; vous me les expliquiez doucement, vos