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pensée semble retirée, un regard qui existe comme une matière. Elle l’affronte cependant, elle s’avance ; il fait le geste machinal de lui baiser la main ; elle s’assied ; c’est la banalité apparente d’une visite ; quelques mots flottent, inconscients, sans parvenir à toucher l’harmonie profonde et solennelle du silence qui les immerge, un silence souverain, plus puissant que les mots.)

François. — C’est bon à vous. J’ai été un peu souffrant. Vous n’avez pas fait trop pénible voyage ?

Madeleine. — Mais non. Pas du tout. Vous vous sentez mieux, j’espère. Tout le monde s’inquiétait de vous, là-bas.

François. — Merci. C’est très aimable.

Madeleine. — C’est si naturel.

(Le silence, plus fort qu’eux, domine leurs voix. Ils n’essaient plus de lutter. Maintenant, François la regarde, d’un regard conscient qu’un torrent bouillonnant de foie inonde, déborde, un regard de possession qu’elle affronte bravement, par brusques battements de paupières levées et baissées, comme les battements d’un cœur.)

François, d’un frissonnement des lèvres. — Madeleine…

Madeleine, les yeux levés dans les siens. — Je suis venue. Je ne pouvais plus rester. J’ai su que vous étiez malade ici. J’ai demandé un passe-port