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missement animal de son être, me faisait bondir le cœur de joie et de tendresse. Je laissai mon bras dans l’étau de ses cinq doigts inconscients, et répliquai :

— C’est vous, Jean, à qui je défends de me parler sur ce ton !

Et je sens encore l’ineffable, la fondante douceur qui me transporta à la vue de son visage rougi, menaçant et brutal. Le rire me prit, un rire bas, le rire de ravissement d’une mère qui découvre un trait nouveau du caractère de son enfant :

— Ô Jean, Jean, grand bête…

J’eusse baisé la colère de Jean, je m’agenouillais devant son injustice. Et je répétai, avec délices :

— Que vous êtes méchant, que vous êtes méchant, méchant !



Et, en pendant du tableau, ce soir où j’avais attendu Jean. Il s’agissait d’un concert de charité, où il devait me piloter, dans la liberté d’allures que nous avions prise et qui commençait de ne plus étonner le monde.

J’attendais, prête, le manteau glissant aux épaules, le sac d’or et l’éventail dans les mains gantées. Je regardais la porte, et je me disais :