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des yeux qui attendent… Bon, vous ne voulez pas dire ? Que pensez-vous de ce groupe de laines bleues ? Faut-il les mettre au soleil, à faner ?

Les laines bleues, les laines amarantes… Absorbons-nous. Voici le joli salon de Colette, baie ouverte sur la cour où de vieux arbres abritent l’écurie vide de ses chevaux réquisitionnés ; voici les bibelots souvent maniés par Jean d’une main nerveuse ; voici le portrait de Jean dans son cadre d’or bruni, une esquisse au pastel toute récente, sabrée par Blunt, son ami : un Jean aux fines narines énervées, aux lèvres closes en un demi sourire de raillerie et de résignation, aux larges yeux de fatigue soulignés de rides droites, à l’élégante et classique ossature mise à nu par les chairs émaciées ; voici la main de Jean, à peine indiquée, avec ses veines en relief et ses phalanges rosies, et l’abandon du vêtement souple que les pastels achèvent d’un griffonnage zigzagué… Oui, tout est semblable, quiet, dans cette belle matinée brumeuse et nacrée ; tout, sauf mon âme énervée, aux tours et détours pleins de craintes, et de sursauts, et de frissons…

Voyons le groupe de laines bleues. Distrayons-nous, cherchons à retrouver notre équilibre qui subitement chavire, périclite, à bout de nerfs, à bout de forces…