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robe me fait peur. Si Brême était ici, tout en fer, bien sûr, je n’aurais plus peur…

Je sais bien que Jean dort, là-bas, mais je n’ose plus aller près de lui, me pencher, regarder comme une mère attentive si ses paupières sont bien fermées. .. J’ai peur de cette forme allongée dans la nuit, oui, j’ai peur… elle ne bouge pas…

— Il prie qu’on ne pense à lui qu’avec calme et gaieté…

Ah ! qui a dit cela ? Est-ce moi qui ai parlé ? Regarde-toi donc, vois comme tu lui obéis ! Mais ris donc, terrifiée !

Comme la chambre est sombre, malgré la lampe ; elle éclaire ma robe blanche, semble la suivre partout. Et ma figure aussi boit la lumière, la prend pour elle, luit comme une deuxième lampe pâle. Je vois dans le miroir cette chambre sombre, et cette femme mince, perdue, illuminée, qui serre les mains sur son cœur. Qu’elle est précieuse, cette femme ! c’est la femme aimée par Jean. L’amour de Jean l’a faite, élevée hors d’elle-même, dans le désir unique d’être belle pour lui, et noble pour lui, et pure pour lui. Elle doit se garder, elle ne peut pas s’effriter en craintes et en affolements vains. Elle doit rester droite et haute dans sa solitude, et regarder la nuit qui l’environne avec des yeux tranquilles. Je veux trouver le calme : Jean l’a ordonné.