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Je reste seule. Je reste, les yeux fermés, très tranquille, à regarder Jean dormir. Jean qui me prie de ne penser à lui qu’avec calme et gaieté… Comme il dort paisiblement ! Sa main, sortie de l’uniforme, soutient sa tête rasée. Il dort sur le dos, face au ciel noir…

Un jour, nous nous promenions dans la forêt, une forêt haute, droite et sombre, religieuse comme une église, où une clairière embrasée d’or mettait au fond de l’allée un chœur incendié de cierges. Et tout-à-coup, je lui ai dit :

— Jean, j’ai gâté votre vie.

Il s’est tourné pour me sourire avec cette ironie plus douce que sa tendresse.

— Vraiment, ma petite ?

Alors, j’ai fait ma confession :

— Je n’ai pas eu le courage de sortir de votre vie. Mais je n’ai pas eu le courage d’amour d’y entrer tout-à-fait. J’ai été l’amie incomplète et décevante, toujours à portée, jamais approchée. Votre volonté était entre nous et me protégeait. Vous avez veillé sur le repos de mon âme. Et moi, j’ai préféré mon repos à vous…

Jean me répondit avec sa douce ironie caressante :

— J’ai mieux aimé être votre protecteur que votre bourreau. Il fallait choisir, ma petite.