Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et durant ce temps, ces dames bavardent. Les unes, affolées d’approvisionnements se battent à coups de recettes et de conserves.

— Huit cents œufs, ma chère ! c’est un rien ! J’en mets deux mille !

Et ce beurre et cette farine introuvables, et ce sucre rationné…

D’autres croient mériter de la patrie en se formant un vocabulaire d’injures et de voyou.

— Ah ! les sales boches, les chiens, les porcs…

D’autres, inconscientes et futiles, discutent leurs robes d’automne, parlent tulle, satin, bijoux.

— Ce qu’on s’ennuie, sans les courses et l’hippique…

— Et Ostende, ma chère, j’ai besoin des bains d’Ostende.

Beaucoup se taisent, avec de beaux yeux calmes, ou parlent doucement de leurs maris, de leurs frères, de la surprise qu’ils auront à voir Jojo si grandi, et Loute si jolie. Quelques-unes, simplement mises, partent plus tôt : elles n’ont plus de bonne, ce sont elles qui soignent les petits…

Un mot, chez toutes, revient : le retour ! Même celles en noir, voilées de crêpe, dont le regard ne regarde plus l’avenir, le disent avec un frémissement des lèvres : le retour !

Le retour… je ne le prononce pas, ce mot sacré,