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parti, on est encore sans nouvelles. Tout-à-coup, hier, elle a compris. Elle s’est jetée sur lui, au départ, avec des hurlements ; Denis s’est évanoui ; son ami l’a entraîné par surprise. Colette est restée, grelottante. On l’a distraite, occupée comme un enfant. La princesse S. lui a persuadé, maternelle, que sa présence était indispensable au ficelage des layettes. Et maintenant encore, elle la protège, l’entoure d’attentions et de petits ordres délicats. Son doux visage volontaire, tout blanc, coiffé d’un chapeau démodé, se détache sur le profil rougi et poudré de Colette. La princesse a l’habitude, la virtuosité de la consolation. Elle insuffle l’héroïsme. Elle aime la noblesse, les affres, les sacrifices de la guerre. Son dévouement a le rayonnement d’une foi. Ses fils, blessés déjà tous trois et repartis, enragés de bravoure, écrivent des billets brefs, ivres d’enthousiasme, qui fouettent encore de force et d’amour son courage. Elle va, arrachant aux mères leurs garçons, pansant divinement les plaies de celles qu’elle a meurtries, chirurgien et sœur de charité tout ensemble. Colette se laisse faire, les yeux encore grands et fixes de stupeur. Docile, elle prend le ton, engourdit sa douleur des belles phrases répétées qui tombent, si ardentes et simples, de la bouche pâle de la princesse.