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sa bonne nouvelle à murmurer. Belle et touchante volonté d’optimisme, courageuse gaieté de prisonniers anxieux ! Mais ils m’attendrissent terriblement, avec leurs rires fanfarons qui tremblent tout-à-coup, quand ils pensent à Pierre, à Jules, là-bas, dont on ne peut obtenir de nouvelles… Mais oui, courage ! c’est entendu : les Allemands déménagent ; cent soixante mille prisonniers sur l’Yser ; la révolution en Allemagne… Courage, mes amis, tout cela sera vrai un jour : mais oui ! on les aura ! attendons, chacun à notre manière, vous en parlant, moi en me taisant. Il y a toutes les façons de souffrir.

Au coin d’une rue, les hautes affiches allemandes attirent des lecteurs. Un Monsieur à pince-nez, l’air affairé, prend des notes dans un carnet. Une ouvrière glousse, hâve, près d’un charretier qui blague les mensonges boches… Et un peu à l’arrière, deux petits jeunes gens bien mis, critiquent dédaigneusement le peu d’énergie des alliés…

— C’est inconcevable : ils ne fichent vraiment rien !

Je m’écarte d’eux, vivement, tandis que l’ouvrier les frôle d’un gros mot.

Maintenant, une corvée. Réunion des dames, ficelage de petits vêtements, étiquetage, bavardages. Colette est là, les traits ravagés : Denis est