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— Et frais, sais-tu. C’est tout cueilli par moi et les cadets, ce matin, quand tu dormais, Madameke…

Tapies dans les feuilles vertes, les rouges fraises des grands bois garnissent le petit fond des paniers bourrés de fougères. Que c’est joli ! Mais je regarde les mains de Moederke, qui continue diligemment à s’essuyer les joues, et je connais ses onze cadets aux nez morveux… Non, décidément… Tenez, je n’aime pas les fraises… Moederke empoche les cens, soupire et se lamente, car la lamentation est la base de son travail et de son délassement. Le panier remonte ; elle s’en va, majestueuse, la tête arc-boutée sous le poids de la charge, les mains sur les hanches dansantes, laissant derrière elle une odeur forte d’étable et de sueur.

— Un petit sou, Madame, pour m’acheter du pain…

La mendiante sordide, l’enfant loué au bras, est déjà à son coin de rue… Ah ! les braves gens, les vrais mendiants, les pauvres catalogués, dont la guerre n’a pas changé le métier, et qui continuent de geindre et de gagner, professionnellement ! Une porte, un couloir sombre franchi, et la cantine de nos petits enfants apparaît, blanche, crue, éclatante, joyeuse. Des dames, toutes blanches aussi, vont et viennent. D’énormes mar-