Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Jean, un bouquet de roses et ses livres reçoivent de biais un rayon frêle et mouillé de soleil qui aussitôt se retire. Je m’agenouille aux pieds de Jean, je l’appelle doucement, les yeux fermés.

— Où es-tu, mon Jean…

Le pâle document récent, le petit kodak de Jean en tenue nouvelle, veste à poches, bandes molletières, m’apparaît, ses minces cheveux devenus tout blancs. Et rien, rien de réel, rien de vivant, aucune réponse à mon appel, que ce petit morceau de papier, noir et gris, devant les yeux avides de ma pensée. Sourd, le faible grondement du canon, de la bête, s’élève et s’abaisse.

— Où es-tu ? Tu as mal ? Ah ! ce coup-ci, peut-être, t’a fait du mal… ou celui-là, peut-être… Ô mon Dieu, mon Dieu. Femmes qui attendez comme moi, entrailles de mères, d’amoureuses, prêtez-moi un peu de votre force. Jean, mon doux protecteur, aide-moi à supporter tes privations, ta solitude, tes souffrances… Non, je ne pleure pas ! Je ne pleurerai pas. Je supporterai l’horrible repos de ne rien faire pour toi…


VIII


Et voici, sans cause, les jours légers, les jours faciles, où tout se supporte, où l’on se réjouit,