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de révolte, m’enfuir, briser à tout jamais mon bonheur, notre amour, dans un coup de nerfs destructif.

Jean sent ma détresse, me libère tout de suite, attend près de moi, sans hâte, ni interrogation. Il baisse les yeux, il ne regarde plus mon visage, il regarde mes mains, je sens son regard sur mes mains, qui ont honte. Et je ne me calme pas. J’ai la gorge gelée. Je pense avec dépit aux femmes qui vont, dans les romans, si facilement aux appartements des hommes qu’elles aiment. Est-ce que je n’aime pas Jean, que je ne puis surmonter pour lui l’affreuse réserve qui me paralyse ? Car je suis venue résolue, fermée à tout scrupule, prête à lui sacrifier mon repos, toute ma vie.

— Je veux ! Je veux.

Alors je retrouve, de mémoire, l’achèvement de ma phrase. Je la dis, obéissante à ma volonté passée :

— Je suis venue, parce que je vous aime. Et que je suis à vous.

Et de suite, c’est la poitrine de Jean, chaude et sombre, où je suis attirée comme en un gouffre, l’immense frissonnement du corps de Jean et la violence épouvantable de ses lèvres sur ma nuque penchée. Et le soulagement immédiat, l’aride soulagement, la désolation des larmes qui m’inon-