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derniers temps. Et il semble à Mademoiselle que Jules ricane, que tout, autour d’elle, répond en ricanant.

La canne de Jean est là, je la touche au passage, la canne touchée par Jean.

— Je vais aller prévenir…

— Non, Jules, je n’ai qu’un mot à dire… j’irai tout droit…

Mais qu’ont donc les murs à ricaner comme cela. Ah ! est-ce que quelqu’un ne se cache pas, là-bas… et il y a des yeux dans ce rideau…

— Entrez !

Jean est à sa table de travail. Il lève la tête. Et puis, il me voit.

— Jeanne !

Il est près de moi. Il a ma main. Il a mes deux mains qui n’en font qu’une entre les siennes. Il dit mon nom, il le répète, comme si ce nom était une digue qui le protégeait contre d’autres mots défendus. Mais ce nom tour à tour de douleur, de violence et de joie, est un langage d’amour, convulsif et éloquent, qui m’enivre et m’épouvante. Et Jean est là : C’est Jean ! Il est près de moi. Je sens l’odeur de ses vêtements et de son visage, je sens la vie battre dans ses veines. Il vit ! Je le vois vivre ! C’est bien lui ! Ses mains, ses yeux, le halètement de sa respiration, je les vois :