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habituel timbre de voix. Je le regardai ; sa figure était paisible, composée, mais pâle, et ses yeux restaient noirs. La chaleur…

Je rentrai en retard, pressée de m’habiller, pressée de repartir pour un dîner de campagne aux environs. On y fut très gai. Jean et Colette étaient là, charmants tous deux, très causeurs. Ils me ramenèrent en Victoria, dans la nuit close rafraîchie du petit scintillement des étoiles. Parfois, un souvenir aigu me revenait, me faisait tressaillir, et je regardais Jean avec inquiétude, pour savoir si c’était vrai que la catastrophe avait éclaté, que Jean m’aimait, et que je le savais, et qu’il savait que je le savais… mais, de Jean sur la banquette je ne voyais que les manchettes et le plastron blanc durement cravaté de noir, et, plus indécis, noyé d’ombre, un visage tranquille, le fin visage aimable et doux de Jean.

Je me persuadai impérieusement que j’avais rêvé cela, troublée par l’atmosphère d’orage. Mais la nuit, dans l’accablement mortel des heures, Jean m’appela encore. Alors, je me mis à gémir, tordue de désespoir, sûre de la réalité de cette voix, de cet appel, de la réponse de mon cœur…

Au matin, dans l’honnête ensoleillement des rues, adroite et preste, j’avais recouvert d’une paix virginale la rongeante certitude de la nuit.