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Et grave, m’entourant de son regard large, il ajoute :

— Plus tard, vous trouverez d’autres bonheurs : les autres vies, toutes les vies, et la pitié du monde…

Il conclut :

— C’est l’amour.

— Je pense, dis-je, que pour aimer toutes les vies, il faut aimer d’abord une vie. Il faut aller à l’école.

Il me regarda vivement, avec son sourire amusé et tendre qui s’efface aussitôt.

— Je vous souhaite un bon maître, dit-il. Et il se leva, laissant la place au grand Brême qui revenait en sueur, le faux-col affaissé, reprendre le fil de ses galanteries interrompues.

Et puis le hasard, ou la destinée, nous rassembla, voisins à une même table parée, visiteurs d’un salon ami, auditeurs de concerts de choix, badauds suivant les expositions à la mode. De toutes ces rencontres, d’un banal salut de rue, se lèvent de précises impressions, des groupes de mots en faisceaux de lumière, des regards, ces mots de l’âme, des gestes légers d’épaules ou l’énervement de lèvres et de doigts serrés, de si petites choses, nuances infimes qui frappent la sensibilité, et s’y fixent. Notre commerce com-