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d’une puérilité un peu zézayante qui a encore son charme, mais qui est terriblement inquiétante pour l’avenir proche : Colette est mon aînée de deux ans, la quarantaine doit avoir sonné déjà pour elle, son fils Denis approche de ses dix-sept ans…

— Je ne sais, Jeanne, si je vous ai montré la dernière lettre de Jean. Très brave, mais on lit entre les lignes… il demande, figurez-vous, si je suis toujours aussi jolie… Pauvre Jean…

— Il vous a toujours fort admirée, Colette, et il avait raison.

Colette rit ; elle a des dents d’enfants, charmantes.

— Jean est mon tout grand flirt. Numéro I, lettre A. C’est un peu ridicule, pour un ménage vieux de vingt ans. Il s’amuse parfois encore à me pomponner, à me coiffer, à me décolleter, puis il rit, vous savez son rire, et il dit : Ma petite poupée…

Colette est de ces femmes qui aiment faire partager leurs intimités à leurs amies. Avant, cela me faisait mal, car je sais que Jean, passionné de beauté, a gardé le désir jeune de sa jolie femme ; il y mêle étroitement un ironique mépris, une tendresse indulgente, et l’indifférence la plus injurieuse. Colette est très contente : cette indiffé-