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Voyez-moi, voyez le bonheur brûler autour de moi, comme la gloire des saints… Voyez le regard de mon ami, attiré par cette flamme, s’attiser à elle, sombrement s’embraser ; voyez de mes lèvres monter la fumée d’encens des cantiques ; voyez perler leurs larmes à mes yeux trop heureux…

Mais la mère est aveugle. L’ombre du soupçon n’effleurera pas son cœur orgueilleux. Claude n’est-il pas là ? Ne suis-je pas sa femme ? Pourquoi douterait-elle de la femme de son fils ? Le fauteuil vide solennellement préside. La mère est sans méfiance.

Le dîner enfin se termine. Derrière la pesante majesté de l’hôtesse, nous nous retrouvons, nous nous sourions, nous marchons légers comme sur des nuages.

Mon ami dit doucement :

— Pauvre petite…

Et de savoir qu’il a tout compris, par précieux instinct du cœur, qu’il a senti tout ce que j’ai ressenti, les vexations, les humiliations, les amertumes, la froide discipline, cet étouffement lent, je me sens payée merveilleusement, je ne regrette pas une de mes larmes.

Je lève vers lui mes yeux de fièvre, je laisse se poser sur eux ses yeux comme un baume, descendre en moi, jusqu’à mon cœur.