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Dans l’aveuglante clarté du lustre, nous nous regardons.

— Restez. Vous verrez mon fils…

Imperceptiblement, je le vois ciller ; d’un élan des yeux plutôt que du murmure des lèvres, je demande :

— Vous l’aimerez ?

Il dit :

— Comme une partie de vous.

Alors seulement, mes mains s’ouvrent et se tendent, et sans parler, nous savons que nous nous sommes accordés, pour toujours.

Ma belle-mère, presque impotente, nous attend dans son boudoir où règne une chaleur terrible, oppressante. Les vieux espèrent ainsi se réchauffer jusqu’à l’âme.

Comme en une chapelle, les fleurs se massent et meurent sous l’effigie de son fils mort. Et avec une précision de musée sont rangés portraits, souvenirs, menus objets du disparu, ses pantoufles éculées de bébé, ses livres d’écolier, sa pipe, sa cravache, la bague qu’il avait au doigt quand il est mort…

Près de la funèbre collection traînent les gants bien vivants de Mika, l’album d’où les timbres débordent, la locomotive électrique et l’aéroplane, et la toupie d’un sou qu’il préfère à tout le reste…