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monumental ; il franchit le palier… Comme ces salons seront longs à parcourir… que de meubles d’or, comme d’hostiles étrangers entre lui et moi…

La porte s’est ouverte. Un pas tranquille, un petit luisant de bottine vernie, de chapeau de soie dans une main pâle, un visage pâle, un air distant, officiel, un air anonyme, un air étranger… Il a les cheveux gris… comme il est pâli ! Dans l’orbite cave, noyée d’ombre, les yeux… oh ! ce sont ses yeux calmes : c’est lui ! je le reconnais. Mon être tout entier a tressailli, a répondu, a résonné profondément.

Je me suis dressée. Et tandis qu’il s’avance, nous nous regardons en plein visage, graves, comme on regarderait passer le destin.

Un baisemain rapide, quelques mots si indifférents qu’ils ne rompent pas le beau, le solennel silence.

Il s’assied. Et les mots de nouveau, tranquilles, s’égrènent, se croisent, se mêlent par instant ; je sens se mouvoir mes lèvres, je vois les gestes aisés de ses mains pâles. Mais au dessus des mots machinaux, l’harmonie auguste du silence pourtant plane. Et elle est si grande, si profonde, qu’elle règne bientôt seule, ayant submergé tout le reste.

Alors, délivrés du bruit de nos voix, nous nous