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et qu’un baiser. Oh ! le voilà assouvi enfin, l’éternel désir d’amour, dans les bras serrés de mon petit enfant. Je peux l’aimer, je sais l’aimer, mon cœur s’ouvre, palpite, crie la joie de battre, de vivre…

Mais un autre jeu déjà l’attire, aussi beau que les baisers. Pour ces petits, l’amour n’est qu’un jeu de poupée… Mika l’a bien dit : Jouons aimer !

Maintenant, va ; monte rejoindre Miss. Sois bien sage ! Et n’oublie pas d’abord d’aller embrasser Grand’Mère…

Mika, le jeu, l’amour, tout est parti. Voilà que je me sens seule, seule dans une aridité de désert… Les salons somptueux et froids de ma belle mère me raidissent l’âme. Il pleut au dehors : gris le ciel, grise la terre, grise la pluie qui tombe… mon cœur est gris…

— Jules, faites allumer du feu, un grand feu…

Il avait de calmes yeux clairs, des cheveux châtains, une figure mince. Il parlait peu ; mais moi, je l’entendais toujours… Oh ! je n’étais qu’une fillette, je ne comptais pas. Pourtant un jour, il m’a saisi le bras, il m’a demandé de l’écouter ; il était pâle. J’ai eu peur, je me suis encourue, par instinct de petite fille, alors que j’avais le cœur d’une femme… Il ne m’a plus parlé. Mes longs cheveux d’enfant faisaient entre nous une