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— Mais si par hasard tout ce que vous déclarez là est vrai (soyez poli !), — m’objectera-t-on intelligemment, — les terribles prohibitions dont vous parliez tout à l’heure sont certes peut-être un peu ridicules (toc, un point de gagné) mais leur erreur n’est pas bien grave ; elle évite aux prédisposés de fâcheuses habitudes sinon très dangereuses, du moins idiotes !

— Holà, arrêtez, malheureux ! Quel est le misérable qui prononce ces paroles aphones ? Je le rudoierais férocement pour la témérité de son jugement si je ne m’apercevais que ce malheureux, par un artifice de rhétorique usé jusqu’à la corde, n’était encore moi-même. Arrêtez donc, malheureux, dis-je, car vous ne savez pas pourquoi les drogués se droguent.


Dans la nuit impure de boue et de sang où l’humanité traîne, comme un écorché sa peau, elle, sa vie misérable et pétrie de souffrance seconde par seconde, montagne faite d’élytres d’insectes agglomérés, dans la nuit impure de boue et de lave où personne ne se reconnaît soi-même, moi, Morphée le fantôme, moi, Morphée le vampire, je règne, tutélaire et plein de sarcasmes sur mes troupeaux maudits, à la façon du roi-condor pirouettant dans les nuages au-dessus d’une horde de lièvres chevauchés par la petite peur à travers une steppe, aride, immense et sans trous comme la représentation géographique de la rotondité du globe terrestre.

Et sinon Maldoror, phare du mal éveillé sur la nuit de la terre, tous les lièvres humains fascinés par les cercles concentriques que décrivent rapidement mes regards morphéens, tombent à la renverse, la figure décollée de celle de leur double dans les torrents souterrains du sommeil qui vont se jeter dans le lac de la mort. Mais pour quelques privilégiés seulement, disséminés à travers tout le temps et tout l’espace, je multiplie la petite mort et en parfais l’image jusqu’à la rendre asymptote du plus authentique trépas, en