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descriptions truquées de ses prétendues turpitudes. La présente protestation, sûre de l’inefficacité de sa démarche, ne vise à aucun résultat : elle ne fait appel qu’à la justice désintéressée de l’esprit. Que ceux qui font profession dans ce cas comme dans les autres[1] d’égarer l’opinion et de reculer chaque jour les frontières de l’idiotie trouvent ici l’expression sincère de tout mon mépris.


Selon l’axe du haut cylindre noir et brillant jouent à cache-cache et tournoient les visions fuyantes du coin de l’œil ; la frayeur aux yeux de lièvre y poursuit les lièvres oreillards de la peur. Sous le gigantesque gibus M. Morphée dissimule à peu près une absence de face. Il est jour, il est nuit ; mais il est toujours nuit quand M. Morphée passe. Toutes les polices du monde qui le recherchent, ne le trouveront jamais à cause même de son allure tellement étrange qu’elle le rend invisible. Pour comble d’audace, il menace : « Lorsque je me promenais, dit-il, tout nu dans les paysages mythologiques, on m’élevait, il est vrai, peu d’autels, mais au moins le respect entourait ma carcasse au repos et sous ma chevelure immense et broussailleuse comme la paille de fer — c’est vous qui m’avez rendu chauve, salauds ! — Quand je fermais mes yeux tourbillonnants de mondes, comme on renferme après usage des instruments de précision dans leur étui, on me laissait en paix contempler au fracas du tonnerre des rêves la naissance des météores en phosphènes. Hélas, dernier détenteur du secret de la vie, maintenant même l’Orient se meurt — ah, célébrez royalement ses funérailles ! avant qu’il ne renaisse et vous saute à la gorge ; car son réveil sera terrible sur la croûte du monde. Avec mes pieds bots je ne puis être que de cœur parmi les hordes souterraines des enfants blêmes de la nuit qui bientôt piétineront votre sale civilisa-

  1. Les récents et innombrables dithyrambes pondus lors des pitoyables mascarades que furent les funérailles nationales du Faréchal Moch sont là comme pièces à conviction.