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leur faisant don de la poudre stellaire qui couvre mes ailes, des parasites piqueurs qui les peuplent, des vapeurs qu’elles soulèvent et des tuyaux de leurs plumes devenues pipes[1].

Mais ces êtres élus par ma malédiction nocturne sont et demeureront relativement rares : mon empire est, hélas, soumis aux lois biologiques. Des statistiques démontreraient facilement que — à l’exception de quelques personnalités supérieures assez évoluées pour échapper à la plupart des contingences sociales (quantité sinon qualité négligeable) — mes sujets, les Morphéens deviennent majorité, légion, unanimité dans les races à leur déclin, dans les tribus vieillies qui meurent. Songez à l’alcoolisme des Indiens du Nord-Amérique. Au contraire, ils sont l’exception monstrueuse parmi les peuples qui vivent leur phase conquérante d’expansion. En tous cas, jamais de misérables lois de prohibition ne pourront empêcher ces gigantesques et fatales réactions ethniques.

Dans vos cités d’Europe moribondes, où s’usent à leurs derniers contacts toutes les races et toutes leurs phases, vous voyez côte à côte tous mes sujets, les victimes des phénomènes ethniques et celles de drames individuels, dont seule jusqu’ici a pu rendre compte la « psychologie des états » encore inconnue dans l’ensemble de sa théorie et que Gilbert-Lecomte opposera, quand les temps seront venus, à toutes les vieilles âneries, dérivées de la « psychologie des facultés » qui pourrissent dans les Sorbonnes délabrées.

Certes, échappent à mon emprise une majorité d’individus qui ont vis-à-vis des drogues une véritable et invincible répulsion que renforcent à peine les impératifs moraux. Ce sont des êtres dont la jeunesse organique qui n’a rien à voir avec l’âge mais qui passe comme lui fait l’emporter en eux l’instinct de conservation, source d’agir, sur l’« instinct d’auto-destruction  », dont on n’ose jamais parler

  1. Ces obscures métaphores font respectivement allusion à la cocaïne, à la morphine, à l’éther et à l’opium.