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A quel point il appartient au Président de gêner ou de faciliter une déposition (fut-ce inconsciemment), c’est ce que je sens de nouveau, non sans angoisse, et combien il est malaisé pour le juré de se faire une opinion propre, de ne pas épouser celle du Président.[1]

Prosper parle d’une voix sourde, qu’on a quelque mal à entendre, et il semble avoir grande peine à s’exprimer. Au cours de son interrogatoire, sentant les mailles du filet, autour de lui, qui se resserrent, il dit que la fatalité s’acharne contre lui, parle de “ coalition… ” ; il devient livide et de grosses gouttes de sueur commencent de rouler de son front.

Le gardien d’une des villas cambriolées, M. X., appelé à témoigner, fait une déposition très émouvante et très belle. Son sang-froid, son courage, semblent avoir été admirables ; admirable aussi la modestie de son attitude, de son récit, que les journaux ont reproduit. Inutile d’y revenir.

Je note ce curieux trait, au cours de l’interrogatoire : Immédiatement après le cambriolage à N., Bouboule s’en revenant vers D., à minuit, rencontre sur la route un ouvrier qu’il connaissait. Quel étrange besoin eut-il de l’arrêter, quand il était si simple de passer outre ; de lui demander une cigarette (a-t-il cru peut-être que cela

  1. Je crois volontiers que cette dernière remarque ne s’appliquerait pas également à tous les jurys — à celui de la Seine en particulier.