Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il ne m’appelait jamais autrement que « son petit ami ».

— Vous serez raisonnables, n’est-ce pas ? disait ma mère. Ne rentrez pas trop tard.

J’aimais sortir avec mon père ; et, comme il s’occupait de moi rarement, le peu que je faisais avec lui gardait un aspect insolite, grave et quelque peu mystérieux qui m’enchantait.

Tout en jouant à quelque jeu de devinette ou d’homonymes, nous remontions la rue de Tournon, puis traversions le Luxembourg, ou suivions cette partie du Boulevard Saint-Michel qui le longe, jusqu’au second jardin, près de l’Observatoire. Dans ce temps les terrains qui font face à l’École de Pharmacie n’étaient pas encore bâtis ; l’École même n’existait pas. Au lieu des maisons à six étages, il n’y avait là que barraquements improvisés, échoppes de fripiers, de revendeurs et de loueurs de vélocipèdes. L’espace asphalté, ou macadamisé je ne sais, qui borde ce second Luxembourg, servait de piste aux amateurs ; juchés sur ces étranges et paradoxaux instruments qu’ont remplacés les bicyclettes, ils viraient, passaient et disparais-