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se faire dans les esprits et, chose curieuse, c’est précisément la même crainte de se rendre impopulaires qui pousse les gouvernements de nos jours à réduire les contributions indirectes pour demander la plus grande partie, et au besoin même la totalité des revenus publics, à l’impôt direct ! Voici l’explication de ce singulier revirement. On se préoccupe aujourd’hui beaucoup moins de chercher l’impôt le plus productif ou le moins vexatoire que de chercher l’impôt le plus conforme à la justice : on tend même à chercher dans l’impôt un moyen de corriger l’inégale répartition des richesses : en un mot on se place au point de vue social et politique plutôt qu’au point de vue économique et fiscal. Or l’impôt personnel présente a ce point de vue, sur tout autre mode de contribution, deux supériorités incontestables[1] :

1° Il est le seul, à raison de son caractère personnel, qui permette de répartir les charges proportionnellement à la situation de fortune des contribuables, le seul qui permette de faire payer aux riches plus qu’aux pauvres. Sans doute, même pour les contributions indirectes, un homme riche aura à supporter d’ordinaire une plus forte charge qu’un homme pauvre, par cette raison toute simple qu’un homme riche consomme davantage mais enfin il est clair qu’un homme qui jouit de 100. 000 fr. de rentes ne consomme pas cent fois plus de sel, ni même cent fois plus de sucre ou de vin[2] qu’un ouvrier qui gagne 1. 000 fr. par an, surtout si l’on suppose que cet ouvrier a une nombreuse famille ;

  1. On peut signaler d’ailleurs une tendance générale à substituer le caractère personnel au caractère réel. Nous l’avons déjà signalée à propos du crédit (p. 329, note 2) et dans la conception même de la science économique (Voy. p. 3). Nous voyons là un progrès incontestable au point de vue moral.
    Remarquez que dans les sociétés primitives on ne connaît guère que l’impôt personnel (en dehors du revenu domanial qui n’est pas un impôt). Encore un nouvel exemple de cette évolution régressive que nous avons eu souvent l’occasion de signaler (p. 280, note 1).
  2. Il est très possible qu’il dépense cent fois plus en vin que l’ouvrier, parce qu’il en boit de meilleur, mais nous disons seulement qu’il n’en consomme pas davantage. Or, les droits en général ne sont pas proportionnels à la valeur des objets consommés, mais seulement à leur quantité : le vin de Château-Laffite ne paie ni plus ni moins de droits que le vin de